Tadej Pogacar a un photographe personnel : “Il n’a pas besoin du maillot jaune pour être photogénique…”
À 21 ans, Alen Milavec est le photographe personnel de Tadej Pogacar qu’il suit à la trace depuis 2019.
- Publié le 19-07-2023 à 12h59
Souvent présenté depuis le début de ce Tour de France comme le duel de l’eau et du feu, la perception qu’a le grand public de Jonas Vingegaard et de Tadej Pogacar se joue aussi par l’image que les deux rivaux renvoient dans les médias ainsi que sur les réseaux sociaux. Une fenêtre que le Danois et le Slovène n’ont pas choisi d’ouvrir de la même manière. Là où le coureur de chez Jumbo-Visma se fait très rare dans sa communication personnelle (5 posts Instagram en 2023), le leader de chez UAE aime partager son quotidien par le biais de ses différents réseaux. Depuis 2019, l’année de son passage dans le peloton pro, Pogacar a ainsi engagé son compatriote Alen Milavec comme photographe personnel. Rencontre avec celui qui est devenu aujourd’hui l’un des proches du double vainqueur du Tour.
Alen, pouvez-vous nous raconter comment vous avez rencontré Tadej pour la toute première fois ?
”Oui, c’était lors du Tour de Slovénie 2019. Le contact est passé de manière assez naturelle et immédiate sans qu’il me soit possible de réellement l’expliquer. C’est souvent le cas dans les relations d’amitiés d’ailleurs, on peine à mettre des mots sur ce qui fait que cela passe bien entre deux individus. À cette époque, je travaillais comme photographe pour la télévision nationale slovène et cette course était la toute première épreuve cycliste sur laquelle j’officiais. Je ne connaissais pas grand-chose de cette discipline ni même qui était Tadej précisément, mais j’avais accepté la sollicitation d’un de ses amis qui assumait un peu le rôle de manager non-officiel en Slovénie. Pour m’aider à le reconnaître dans le peloton, ce contact m’avait juste précisé que Pogui avait un maillot blanc aux couleurs d’UAE (rires)… Tadej a, je pense, apprécié mon boulot puisqu’il m’a demandé ensuite de couvrir le championnat national de Slovénie qui se déroulait une semaine plus tard. Depuis, nous ne nous sommes plus quittés si je peux dire cela comme ça (rires)… Nous sommes de la même génération puisque j’ai 21 ans et Tadej tout juste trois de plus.”
Que pensez-vous que Tadej a particulièrement apprécié dans votre travail ?
”Le fait de ne pas venir du milieu cycliste est peut-être un avantage car j’ai sans doute un œil plus neuf et frais. J’ai toujours voulu soigner la dimension artistique car j’ai vite compris que le cyclisme constituait un sport superbement photogénique. J’aime travailler sur les reflets, les détails… Il y a aussi une émotion qui transparaît de presque tous les instants. Dans la souffrance, la joie, la peur ou la rage, les visages disent beaucoup de choses. J’ai souvent une idée en tête que je prévisualise, avant de tenter de réussir à la capturer. C’est aussi une manière de se démarquer de confrères présents en nombre sur les courses.”
Percevez-vous votre relation avec Tadej comme une forme de privilège par rapport à ces collègues justement ?
”Maintenant qu’il est aussi populaire, je peux concevoir que certains voient cela sous cet angle, mais je continue d’aborder notre relation comme celle d’une pure amitié. Je le connais depuis l’année de son passage dans le peloton pro et je crois que cela a participé à construire une vraie confiance.”
Notre relation tient surtout de l'amitié mais je sais quand je peux sortir mon appareil ou non"
Combien de jours travaillez-vous pour Tadej chaque année ?
”Notre collaboration n’est pas arrêtée de manière aussi formelle. Nous discutons de quelles courses pourraient être intéressantes à couvrir, d’événements auxquels il pourrait être judicieux que je sois présent… On tente de définir une base en début de saison que nous affinons ensuite au fil de l’année. Pour donner une idée d’ordre de grandeur, je dirais que cela doit tourner autour des cent jours, mais c’est très difficile à calculer car il y a aussi un tas de jours lors desquels nous nous voyons par pure amitié et pas du tout dans le cadre du travail. ”
Vos photos sont-elles uniquement publiées sur les réseaux sociaux de Tadej ?
”Au fil des années, plusieurs médias se sont intéressés à mon travail et il m’arrive ainsi de travailler pour des magazines anglais, français, belges ou néerlandais. Que ce soit dans le cadre d’une publication dans un média classique ou à destination d’Instagram par exemple, ma philosophie demeure toujours la même : raconter des histoires au travers de mes images. Tadej a confiance dans la manière dont je travaille, je peux prendre des photos quand je veux mais notre proximité fait que je ressens instantanément quand il est judicieux de dégainer mon appareil ou quand il convient de laisser celui-ci sur le côté.”
Vous avez d’ailleurs partagé les vacances de Tadej et de sa compagne Urska en Colombie l’automne dernier. Les photos prises lors de ce voyage ressemblaient d’ailleurs à une sorte d’immersion dans le quotidien du couple…
”Comme je vous le disais en amont, j’ai eu le sentiment d’effectuer un voyage entre amis à cette occasion. J’ai tenté de capturer des instants de pures émotions lors d’un séjour au cours duquel plusieurs paparazzis sud-américains nous collaient aux basques. Des photographes avec qui Tadej n’entretient évidemment pas la même relation…” (rires)
Considérez-vous qu’une photo avec le maillot jaune est toujours meilleure qu’une image sans cette tunique iconique ?
”Non, car Tadej n’a tout simplement pas besoin du maillot jaune pour être télégénique… (rires) S’il est parfois exubérant sur son vélo à l’entraînement ou lorsque les circonstances de course le permettent en début d’étape par exemple, il ne délaisse jamais sa concentration quand cela devient vraiment sérieux. Cela ne l’empêche toutefois pas de faire passer beaucoup d’émotions quand il roule.”
Le Tour des Flandres, c’est une course fantastique pour un photographe."
Êtes-vous venu en Belgique lors du printemps des classiques pour le Tour des Flandres ou les classiques ardennaises ?
”Oui, évidemment. J’ai d’ailleurs adoré travailler sur le Ronde, c’est une course absolument fantastique pour un photographe. Il y a le côté brut des pavés qui se mêle avec la ferveur d’un public de fanatiques absolus et une course souvent très spectaculaire : on ne peut imaginer meilleur cocktail ! Il y a dans les classiques une intensité que l’on peut rendre dans l’image et que l’on ne retrouve pas toujours sur les grands tours par exemple.”
Votre relation d’amitié avec Tadej a dû vous permettre de partager certains moments de sa revalidation après sa chute survenue sur Liège-Bastogne-Liège. Dans quel état d’esprit était-il alors ?
”Toujours positif. Cette capacité à se concentrer sur les choses qu’il peut maîtriser et à ne pas se retourner sur les événements moins joyeux est sans doute la chose qui m’impressionne le plus chez lui. Il sait se remobiliser très rapidement pour un objectif parfois lointain. Il a un côté très inspirant. ”
Quelle est votre photographie préférée parmi toutes celles déjà réalisées avec Tadej jusqu’ici ?
”C’est une image que j’ai baptisée le baiser d’or. Depuis un long moment, je voulais capturer le regard d’Urska (NdlR : la compagne de Pogacar) dans les lunettes de Tadej durant un baiser. J’avais cette idée en tête depuis un long moment mais elle est techniquement difficile à réaliser. C’est celle que je considère comme ma meilleure photo.”
Avez-vous la photo de vos rêves déjà à l’esprit puisque vous dites souvent travailler avec une forme de prévisualisation ?
”Oui, bien évidemment, mais je ne vais pas vous en dire plus sans quoi l’effet de surprise n’opérera plus…” (rires)